Journal de bord
Jour 0 : 23/10/2012
Voilà presque
36 heures que nous avons quitté Paris. La fatigue se fait sentir. Mais nous
voilà enfin arrivés à Hobart. Depuis le bus qui fait office de navette, je
l’aperçois. L’Astrolabe est là, dans la baie, au bout de ce quai. Il nous
attend. Du haut de ses 65 mètres, il me parait désormais bien petit pour
affronter l’océan austral. Pas le temps de s’émerveiller, il faut partir ce
soir pour éviter le trop gros temps annoncé. La nuit tombe progressivement. Et
nous avec. Je regagne ma banette vers 21h. Un lit, un vrai, la nuit s’annonce
bonne.
Jour 1 : 24/10/2012
La nuit a été
réparatrice. L’Astrolabe tient sa réputation. Il roule. Il roule même beaucoup.
La mer a beau être encore relativement clémente, ça gite, ça tangue, ça claque,
à tel point que la cuvette des toilettes se transforme en geyser. Mon premier
albatros. Un albatros royal. Puis viennent les prions, les pétrels noirs et les
albatros timides. Ca vous plonge immédiatement dans l’ambiance ; une
immersion dans le grand sud. A bord, le monde se divise en deux : les
patchés et les autres. A table, certaines places restent inoccupées ; le
mal de mer fait ses premières victimes. Pour ma part, je ne me patche pas et je
tiens bon. Le repas du soir reste malgré tout difficile à avaler. Il est 20h30,
je regagne ma banette.
Jour 2 : 25/10/2012
6h : il
fait déjà bien jour. La mer continue son incessant travail de sape. L’Astrolabe
courbe l’échine et encaisse. Je me lève pensant au petit déjeuner. C’est jeudi,
et le jeudi c’est croissant. Alors pas envie de rater ça. Mais il faut
attendre. A bord, le temps semble s’étirer. Ce sont les repas qui rythment la
vie à bord. 7h-11h-18h pour les uns, le tout décallé d’une heure pour les
autres. Je suis de la deuxième fournée. Entre temps, on regarde des films, on
sieste, on observe les quelques albatros qui nous escortent inlassablement.
Chacun tue le temps comme il peut. Tout au long de la journée l’océan se
détend, s’apaise à tel point qu’on retrouve du monde à table le soir.
Jour 3 : 26/10/2012
La journée est
calme. La mer est presque plate. Nous attendons l’évèvement de la journée avec
impatience : le débarquement sur la base australienne de Macquarie des 5
australiens embarqués avec nous. Il est 17h quand ce beau de caillou de 35 km
de long et 360 m de haut se dessine à l’horizon, venant rompre l’implaccable
horizontalité du grand bleu. En ce troisième jour, la température a
considérablement chuté. Nous sommes proches de zéro degré. J’ai pu observer mes
premiers albatros à sourcils noirs, pétrels géants, manchots royaux, sternes
antarctiques, ainsi que des éléphants de mer. En revanche, les orques me sont
passés sous le nez.
Jour 4 : 27/10/2012
Lever 6h. A
bord, chacun a son rythme. Certains sont levés depuis 2h du matin, d’autres
écraseront jusqu’à midi. La vie est tranquille, on se laisse bercer par le
désormais faible roulis de l’Astrolabe. Jusqu’à présent, nous sommes chanceux
au niveau des conditions de mer. Néanmoins, celles-ci se dégradent dans l’après
midi et durant la nuit. L’Astrolabe roule à nouveau fortement d’un bord à
l’autre.
Jour 5 : 28/10/2012
Il a été
difficile de trouver le sommeil cette nuit, tant il était compliqué de rester immobile
quelques secondes dans sa banette. Encore un réveil matinal. Les jours
rallongent. Je me lève à 6h et le soleil est déjà haut dans le ciel. La
température de l’eau de mer est descendue en dessous de 0°C. Il a neigé sur le
pont ce matin. 21h, je suis en salle informatique, quand j’entends l’Astrolabe
gronder, ça vibre... Nous y sommes, les premières glaces sont là, tout autour
de nous. . .. Comme pour nous souhaiter la bienvenue dans cet univers immaculé,
les pétrels des neiges viennent survoler le navire. Un instant magique.
Jour 6 : 29/10/2012
Nous sommes
rentrés dans la banquise depuis hier soir. L’avantage, c’est que le bateau ne
roule plus. La nuit n’en a été que meilleure. Et quelle vision ce matin au
réveil ! Le bateau continue sa lente progression vers notre but :
DDU. La glace est praticable et nous arrivons à nous frayer un chemin. Nous ne
sommes plus qu’à 450 km de la base lorsque le bateau s’immobilise pour la
première fois. La glace s’épaissit, se densifie. Les deux hélicoptères sont
sortis du « garage » et installés sur le pont. Un vol de repérage est
alors programmé. Il est 21h lorsque l’Astrolabe remet les gaz et avance de
nouveau à taton, cherchant une issue dans ce labyrinthe de glace.
Jour 7 : 30/10/2012
De nombreux
bruits de coursive circulent quant à notre position et notre arrivée possible à
DDU. Il est difficile de pronostiquer quoi que ce soit, tant les conditions de
glace peuvent évoluer dans un sens comme dans l’autre. Pour l’heure, nous
n’avançons plus. Un petit bloc de glace nous empêche de progresser. Il faut
s’armer de patience. Partie de cartes, film, lecture, observations à la
passerelle sont parmi les moyens de tuer le temps. Dehors, le jour est gris et
la neige tombe. Une ambiance étrange, apaisante. Nous sommes les otages de la
banquise, pour combien de temps encore...